Repères et éléments biographiques - extraits iconographiques
Musée Tavet Delacour - Pontoise
texte de Camille Morando
Nicolas Blin, sur le parcours de Pissarro L’œuvre de Nicolas Blin dialogue depuis de longues années avec les peintres du cercle impressionniste qui ont habité et travaillé à Pontoise et aux alentours. « Vivre à l’Hermitage, c’est croiser le regard que Camille Pissarro, le père de l’impressionnisme, a posé sur ce quartier dès 1866 et ceci pendant près d’une quinzaine d’années », confiait l’artiste pontoisien en 2016. Dès ses débuts, la création de Nicolas Blin s’est attachée aux cheminements discursifs de la narration où l’espace et le temps se dilatent ou se tendent, pour livrer un récit inventé ou vécu. Chaque œuvre ou série d’œuvres, selon différentes techniques, devient l’empreinte d’un moment choisi, effacé, suspendu ou caché. De fait, l’apparition du récit ou de son souvenir est une récurrence dans les œuvres de Nicolas Blin, qui établissent des cercles concentriques, disant toujours et autrement une histoire, intime et quotidienne, poétique et musicale, mise en scène ou dansée. Ses premiers travaux titrés Récits I et II (1984, 1990) ouvraient l’incessant questionnement de l’artiste sur l’histoire de la représentation, qui étend le champ de la figuration à des univers abstraits, et qui s’inscrit dans la tradition du concept texte-image, revisité actuellement par de nombreux artistes. Selon des cadrages décalés, le goût du détail, une palette nuancée de couleurs et un jeu formel synthétique, Nicolas Blin propose des récits plastiques dont les espaces anonymes et familiers créent un univers personnel. Suite à la commande du Festival de musique d'Auvers-sur-Oise pour les cent ans de la mort de Vincent Van Gogh, Nicolas Blin exécute en 1990 Polyptyque pour un centenaire, revisitant le célèbre tableau du peintre, L’Église d’Auvers-sur-Oise (1890, Paris, Musée d’Orsay). Le polyptyque, aux dimensions monumentales de 360 x 235 cm, est constitué de neuf tableaux montés sur une structure métallique qui permet de les faire pivoter, faisant apparaître ou disparaître les panneaux, ou révélant l’ensemble de chacun d’eux pour recomposer la toile de Van Gogh. Cette œuvre peut s’appréhender ainsi de manière dynamique, pouvant accueillir différents points de vue et moments musicaux, tels qu’ils furent donnés en 1990, par exemple par Mstislav Rostropovitch lors du Festival. Le polyptyque devient ainsi un objet autonome animé, invitant à une déambulation singulière et poétique au cœur du tableau de Van Gogh ainsi qu’au sein de l’architecture de l’édifice. Nicolas Blin convoque un récit autre, le récit de ce qui reste, de ce qui apparaît ou disparaît, de ce que le temps réinvente. Un récit en hommage au grand peintre d’Auvers-sur-Oise. En 2011, l’artiste revient à Auvers-sur-Oise avec une exposition présentée dans la maison du Docteur Gachet, en nous livrant sa propre promenade selon une mise en espace de cent- quatorze œuvres qui occupent les différents lieux. Comme le raconte Nicolas Blin, « quand on visite un lieu tel que la Maison du docteur Gachet on ne peut échapper à la tentation d'imaginer ce qu'il s'y passait, ce qu'il s'est passé, que ce soit des moments extraordinaires dont on a plus ou moins entendu parler, ou bien ces petits instants du quotidien de la vie d'une maison à Auvers ». Lors de ses visites, l’artiste a fait des relevés des endroits existants ou disparus, et collecté l’histoire des Gachet ainsi que ses propres sensations. Selon cent-onze épichromies de format identique et trois petits livres-récits, l’exposition rend compte des différents points de vue, de l’atmosphère, des échanges, des odeurs, des bruits d’un lieu qui fut habité, mêlant la mémoire de cette maison et le regard de l’artiste. L’exposition nous invite ainsi à découvrir autrement les différents espaces (jardin, maison) ainsi que les endroits aujourd’hui non visitables, inatteignables ou disparus. D’un récit connu et anecdotique du Docteur Gachet, des conversations avec ses amis peintres, Vincent Van Gogh certes, mais aussi Paul Gauguin, Paul Cézanne et Camille Pissarro, et de la vie quotidienne des Gachet,Nicolas Blin confronte, à des endroits précis, le passé et le présent réinventé, sans souci de véracité historique, associant des souvenirs ou interrogations personnels aux échanges de Paul Gachet avec Cézanne et Pissarro. Les épichromies (technique inventée par l’artiste, proche de la gravure chère à Paul Gachet) sont composées, tel un story-board, d’une bulle d’écriture en guise de légende - toutefois à peine lisible et présentée verticalement, et de plusieurs images où le traitement en noir (encre) fait apparaître l’histoire passée et la couleur les espaces réels. Accrochées dans l’intimité des pièces ou dans le jardin, les œuvres, dont l’homogénéité des formats créent un rythme prégnant, s’intègrent dans l’espace muséal conservé, telles des inscriptions discrètement apposées, et livrent des anecdotes, des mots échangés, des silences, des secrets et des inventions. Leur composition présente un lien subtil entre les couleurs et le dessin des volumes et fait écho à une écriture cinématographique (champ/contre-champ, intérieur/extérieur), où s’inscrit une réflexion sur le temps, sur la matérialité des lieux, sur le vide et le plein. La proposition plastique de Nicolas Blin, comblant avec humour et poésie les lacunes de l’histoire du Docteur Gachet, met en abyme la légende et les différents lieux (jardin, cave, entrée, cuisine, salon, escalier, atelier de Paul Gachet, …), tout en nous invitant à inventer notre propre récit. « Du côté de l’Hermitage à l’ombre de Camille Pissarro » est un parcours patrimonial créé par Nicolas Blin en 2016 à Pontoise, conçu selon vingt-cinq séquences qui témoignent des rencontres de ce quartier. S’y télescopent de rares vestiges au temps du peintre impressionniste avec les espaces urbains actuels, ainsi que les différentes temporalités des saisons et des heures. Dans la même veine que les épichromies pour la Maison Gachet, Nicolas Blin compose ces vingt-cinq séquences ou fragments à mi-chemin d’un story-board ou de la bande dessinée, mêlant le dessin, la couleur et les mots parcellaires inscrits à la verticale. S’ajoutent des abréviations qui renvoient à la topographie des lieux ainsi qu’à l’écriture cinématographique des mouvements de caméra. La promenade proposée par l’artiste est ponctuée de ces panneaux colorés et légendés, nous invitant à revisiter le quartier de l’Hermitage. Nicolas Blin, par ces différents récits picturaux autour de Pontoise, engage le spectateur à une réflexion sur le passé et le présent, sur l’histoire de ces peintres célèbres et sur sa propre histoire. Une manière de réinventer le temps. Camille Morando, Musée national d’art moderne / Centre Pompidou (octobre 2024) |