Le
«Polyptyque» de Nicolas Blin
est
entré dans l'histoire du Val-d'Oise
Expressifs
et synthétiques, les tableaux, par dizaines et réunis par thèmes,
nous familiarisent vite avec les diverses facettes d'un art raffiné
et sensible, éminemment poétique, ayant intégré les meilleures leçons
de la figuration et de l'abstraction. Nicolas Blin a refusé de choisir
entre elles. Il les aime ensemble ou se confrontant l'une à l'autre.
Construite
autour de sa dernière série de portraits rassemblés sous le titre
Désillusion(s), l'exposition, présentée par l'artiste engagé
dans la vie municipale de Pontoise, se poursuit à l'étage de l'ancien
bâtiment rural situé au cur de ce qui fut le quartier de Camille
Pissarro. Avec pour voisin le motif signalé des fameux Toits
rouges. Nous voici entraînés jusqu'au véritable atelier de travail
du peintre, son antre débordant d'un chaleureux fouillis, finalement
très ordonné, aux trésors en forme de pots et boîtes en métal renfermant
des pigments aux couleurs splendides. Les glacés veloutés des tableaux
de Nicolas Blin y puisent une part de leurs secrets dans le respect
des techniques anciennes apprises au temps où il était l'élève d'Albert
Zavaro, l'un des chefs d'ateliers de l'Ecole Nationale Supérieure
des Beaux-Arts de Paris.
Pour
nous accueillir, un ancien hangar affectueusement dénommé «salle
du polyptyque» par les enfants du peintre. Sur le mur de droite,
les neuf parties pivotantes d'un immense tableau de près de trois
mètres de haut. Un Polyptyque du Centenaire que j'avais admiré il
y a dix ans, magnifiquement mis en valeur, au centre du chur
de l'église d'Auvers illuminée et inondée de musique. Son éclat
bleu m'avait profondément émue.
Il faut
aller le voir ou le revoir. Ame de la maison du peintre, le Polyptyque
du Centenaire fait aujourd'hui partie du plus beau patrimoine valdoisien.
Est-ce parce que nous avons changé de millénaire que j'ose ainsi
l'affirmer ? L'histoire, de toutes façons, mérite d'être contée.
Deux
Pontoisiens, Nicolas Blin, le peintre et Pascal Escande, le directeur
du Festival d'Auvers réussirent ensemble un coup de maître en cette
année 1990, centenaire de la mort de Vincent van Gogh.
Représenté
chacun sur son panneau, Rostropovitch et Julia Migenes, deux des
vedettes accueillies au Festival, avaient été touchés par le polyptyque
et par l'intention de l'artiste. N'étaient-ils pas ainsi associés
à l'un des plus purs chefs-d'uvre de l'art occidental, L'Eglise
d'Auvers, peinte par Vincent van Gogh un soir de juin 1890 ?
Lié au
célèbre village par quelques-uns de ses plus beaux souvenirs d'enfant,
ses journées silencieusement passées dans l'atelier de son oncle,
le peintre Jean Bouvot à qui il devait sa vocation, Nicolas Blin
avait jeté plus que son talent, son âme entière, dans son hommage
à la fois unique et multiple.
Le peintre
n'a pas cherché à masquer l'architecture d'une uvre connue
entre toutes et le bleu de Vincent, ce bleu de nuit provençale,
inonde sa toile. Simplement, à la manière d'un enfant émerveillé
par l'aventure à laquelle il était convié, il est entré à l'intérieur
de l'église, racontant avec ses pinceaux le rayonnement qui, désormais,
émane d'elle. A cause de sa signification de toujours, à cause de
l'artiste hollandais et de son tableau, à cause de ceux qui, vivant
un siècle plus tard, en démultiplient l'émotion.
Heureux
hasard ? Depuis trente ans qu'il peint, Nicolas Blin cherche avec
passion à évoquer l'épaisseur du temps et son action à travers l'espace
de ses tableaux. Il faut sans doute s'être arrêté longtemps devant
l'un de ses Récits de 1984, quelques-uns des dytiques de
ses Prises de calme, composés à partir de 1992 sur d'ardents
et elliptiques poèmes d'Antoine Emaz, pour comprendre de l'intérieur
ce que son Polyptyque pour un Centenaire a représenté pour
son auteur. Une extraordinaire possibilité de contracter le temps,
de le dépasser, de dévoiler la force de l'art pictural, de créer
une uvre libre, musicale, dansante, extrêmement personnelle
sous couvert d'hommage, de reflet et de variation. Sans risque donc
d'être taxé de mégalomanie, sans rien perdre de cette maîtrise de
soi, de cette douceur un peu distante, de cette réserve élégante
dans le rapport aux autres et dans l'expression artistique qui le
caractérisent.
Pourquoi
une uvre de cette qualité, Si juste dans sa conception et
dans sa réalisation, si facile d'accès, à la fois si intériorisée
et si rayonnante, n'a-t-elle pu, en 1990 et jusqu'ici, trouver son
acquéreur ? Témoin de la double histoire d'Auvers et de son festival,
elle a été pensée pour un grand espace public et pourrait être la
fierté de l'entreprise ou de l'institution qui la montrerait. Qu'avons-nous
à nous étonner que les tableaux de Vincent van Gogh n'aient pas
trouvé d'amateurs de son vivant ? L'histoire des relations entre
les artistes et leurs acheteurs a bien peu changé depuis cent ans.
Mais, n'est-ce pas, voici que nous entrons dans un nouveau millénaire...
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